Jeudi soir 23h30…

Quand on s’emprisonne dans nos paradigmesUn texte de fiction qui rejoint parfois nos réalités.

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Jeudi soir 23h30, je pars en voiture pour tenter de chasser mes idées noires et réduire au silence le mal-être qui m’habite.  Trop-plein de colère, de peine et de honte en moi pour réussir à m’apaiser et dormir.  Encore une fois, je me sens rejeté et incompris.  Besoin de changer de décor, de fuir, même si je sais que fuir ne veut pas dire guérir.  J’en sais des choses…

Direction l’autoroute, sans destination précise.  Rouler, seulement rouler pour oublier.  Avec le cerveau embrumé par l’alcool et le THC, je prends la bretelle de l’autoroute en sens inverse sans m’en rendre compte.  Cela m’arrive de prendre des décisions hasardeuses sur le coup de l’émotion ou quand je tente d’engourdir ce que je ne souhaite pas ressentir.

Inconscient du danger qui me guette, je décider d’accélérer à fond et de rouler à haute vitesse en espérant que l’adrénaline produise un baume sur ma douleur intérieure.  Très rapidement, je croise une première voiture qui arrive face à moi.  Le conducteur flashe ses lumières.  Je ne comprends pas ce qui se passe.  Je demeure dans la voie de droite et fort heureusement il se range sur le côté pour éviter la collision.  Je continue de rouler à vive allure en sacrant après ce conducteur imbécile. 

À peine remis de mes émotions et toujours en colère, je croise trois autres voitures qui s’en viennent face à moi. Même constat, je me sens agressé par ces véhicules qui sont « à l’envers » et qui nourrissent ma colère.  Heureusement encore, la collision est évitée de justesse.  Que se passe-t-il ?  Comment se peut-il que tout le monde semble aller en sens contraire de ma direction ? Personne ne comprend le « bon sens » ?  Je sais que je suis dans le bon sens.  J’en sais des choses…

Un autre un véhicule arrive soudainement en sens inverse.  Un poids lourd de 53 pieds qui fonce sur moi, toutes lumières allumées.  Je suis aveuglé par ses lumières et saisi par le son assourdissant que son klaxon fait lorsque nos deux véhicules se croisent et s’évitent de justesse. 

Mais que se passe-t-il donc présentement ?  Comment se fait-il que tout mon monde soit à l’envers ? Toutes les personnes que je croise dans leur véhicule ne semblent pas réaliser qu’ils font fausse route.  Cela augmente d’autant plus ma colère et mon incompréhension de ce qui m’entoure.

Le croisement du poids lourd produit un effet dissipant sur l’alcool et le THC qui se trouvent dans mon corps.  Je commence à me questionner sur la réalité dans laquelle je suis.  Et si c’était moi qui n’étais pas dans le bon sens ?  Impossible !  Je sais que je ne peux me tromper.  J’en sais des choses… 

J’aperçois au loin une bretelle de « sortie » d’autoroute.  Incroyablement, les panneaux de signalisation ont été installés à l’envers.  Cela nourrit encore plus mon incompréhension, ma colère et mon sentiment d’être en confrontation constante avec ce qui m’entoure.  Qu’est-ce que ce monde à l’envers ?

L’effet à répétition de l’adrénaline et le croisement de la bretelle de « sortie inversée » font tranquillement leur chemin dans mon esprit.  Et si c’était moi qui est à l’envers ?  Et si tous ces phares que je croise n’étaient pas contre moi mais des avertissements bienfaisants pour mon propre bien-être ?  Et si ce klaxon n’était qu’une tentative pour me réveiller, me ramener dans une réalité douloureuse que je ne souhaite pas voir ?

Non, c’est impossible, c’est le reste du monde qui a tout faux !  J’accélère et croise rapidement une deuxième et une troisième bretelle de sortie avec des panneaux de signalisation « inversés ».  Malgré le doute qui s’installe en moi, mon orgueil, mon ego et ma honte face à ce qui semble être une évidence me motivent à aller encore plus vite dans la noirceur, une noirceur étouffante mais aussi calmante face à une réalité que je ne souhaite accepter. 

Je roule à la limite de me capacités de conducteur, dans l’état second dans lequel je me trouve.  Propulsé par la colère, la peine et la honte, je roule à vive allure vers une destination inconnue, ce qui augmente d’autant plus mon mal-être.  No futur !

La haute vitesse aidant, j’aperçois encore au loin une autre « sortie d’autoroute inversée » et je croise à nouveau une voiture toutes lumières clignotantes et avec un klaxon assourdissant.  J’évite de justesse la collision frontale.  Cependant je frôle de trop près l’autre véhicule et au passage, mon rétroviseur est subitement arraché.  Sur le coup, cela me donne décharge dans le corps.  Je me sens envahi par une électricité dans tous mes membres.  Tout à coup, le doute s’installe sérieusement en moi.  J’aurais pu y passer.  Est-ce vraiment ce que je souhaite ?

Instantanément, je réalise ce qui se passe.  Je suis dans le mauvais sens…  Tout aussi rapidement, une évidence m’apparaît.  Je dois prendre une décision : continuer à rouler dans la même direction, propulsé par mon ego, ou mettre ce dernier de côté et profiter de la prochaine « sortie » pour arrêter ce cirque funeste.

Décider, décider décider… 

J’ai trop souvent l’impression, après coup, de prendre les mauvaises décisions.  Mobilisé par mon désir d’être, d’exister, je prends aussi de mauvaises décisions de façon consciente, avec des risques et des conséquences négatives connus d’avance.  Je le fais sciemment, pour me sentir vivant et libre. 

Est-ce que je me sens vraiment libre dans ces cas ou est-ce que j’envoie de signaux de détresse pour que l’on comprenne mon mal-être ?  Dans ce cas-ci, les signaux sur la route sont trop évidents pour les ignorer et les conséquences trop désastreuses pour en faire fi. 

Décider, décider, décider… 

Pourquoi encore attendre alors que mon intuition profonde me dicte la voie ?  Pourquoi encore me compliquer la vie ?  Au nom de quel principe, de quel entêtement j’hésite encore à choisir une voie différente ?  Est-ce que ma peine intérieure est trop forte pour renoncer à ces décisions autodestructrices ?  Remplacer un mal-être par un autre ? 

Je réalise soudainement que c’est à moi de choisir le dénouement que prendra cette histoire.  Sur cette route, un jeudi soir, je peux choisir d’ignorer les signaux et foncer vers l’abîme ou « sortir » de mes patterns et mes croyances pour faire face à mes douleurs et tenter de les guérir.  Rester dans le statu quo avec ce mal-être omniprésent ou prendre une chance d’aller vers une voie différente et y gagner au change ?

Décider, décider, décider…

Malgré la peur de l’inconnu.  Malgré la honte et la colère, je choisis de faire un premier pas dans une nouvelle direction afin de voir si le présent pourrait être plus confortable et le futur plus viable. 

Je choisis de prendre le risque d’être mieux, quitte à devoir affronter ma peine et ma colère.  Je choisis de le faire avant tout pour moi. Pour essayer de trouver ma place dans ce « monde à l’envers ». 

Je ralentis.  Je prends la « sortie » et déjà un certain apaisement s’installe en moi.  Tout ne fait que commencer.  Cependant, je crois que d’avoir abdiqué face à certaines de mes croyances me procure déjà un début de calme intérieur sur lequel je peux bâtir. 

Pourquoi être allé aussi loin avant que la lumière arrive ?  A-t-on toujours besoin d’aller aussi loin pour comprendre ?  Je ne sais pas. 

J’en ignore des choses…